Le Parlement européen et le génocide arménien

À partir de 1981 le Parlement européen envisagea de traiter de la question arménienne. À cet effet, en 1984, un rapporteur fut nommé par la Commission politique du Parlement en la personne de Jaak Vandemeulebroucke qui déposa le 15 avril 1987 un rapport « sur une solution politique de la question arménienne ». Ce rapport, particulièrement intéressant, concerne spécifiquement la question arménienne. Contrairement au rapport Whitaker, le rapport Vandemeulebroucke ne porte pas de manière générale sur le crime de génocide mais envisage uniquement le cas arménien. Le champ d’étude est d’ailleurs plus étendu que le seul génocide et englobe les nouveaux aspects de la question arménienne (y compris la protection des Arméniens en tant que minorité). Au terme de ce rapport de 27 pages, fortement argumenté et documenté, le rapporteur aboutit à la conclusion que :

« Les événements dont les Arméniens de Turquie ont été victimes pendant les années de guerre 1915-1917 doivent être considérés comme un génocide au sens de la Convention des Nations unies pour la prévention et la répression du crime de génocide ».

Dans la foulée de ces propos, le rapporteur invitait le Parlement européen, dont le rôle est de « dénoncer toute violation des droits de l’homme et des peuples », à reconnaître le génocide dont ont été victimes les Arméniens.

Mais la question qui se posait, était de savoir en effet quelle était la légitimité de ce Parlement pour se prononcer sur un événement antérieur à sa création et qui s’est déroulé en dehors de l’Europe. Cette question a été justifiée par plusieurs parlementaires, comme Henri Saby qui a considéré que « la mémoire collective de l’humanité {…} appartient à tout le monde ». De même que la question du génocide arménien est bien une question universelle et actuelle. La violation massive des droits de l’homme intéresse tout le monde à toute époque. Le respect des droits de l’homme postule une conscience universelle qui ne connaît aucune barrière de temps et d’espace.

Le 18 juin 1987, le Parlement européen a finalement adopté une résolution « sur une solution politique de la question arménienne » reconnaissant le génocide des Arméniens. Au terme des points 2 et 3 de cette résolution, le Parlement européen :

« 2) est d’avis que les événements tragiques qui se sont déroulés en 1915-1917 contre les Arméniens établis sur le territoire de l’Empire ottoman constituent un génocide au sens de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée par l’Assemblée générale de l’O.N.U., le 9 décembre 1948 ; reconnaît cependant que la Turquie actuelle ne saurait être tenue pour responsable du drame vécu par les Arméniens de l’Empire ottoman et souligne avec force que la reconnaissance de ces événements historiques en tant que génocide ne peut donner lieu à aucune revendication d’ordre politique, juridique ou matérielle à l’adresse de la Turquie d’aujourd’hui ; 3) demande au Conseil d’obtenir du gouvernement turc actuel la reconnaissance du génocide commis envers les Arméniens en 1915-1917 et de favoriser l’instauration d’un dialogue politique entre la Turquie et les délégués représentatifs des Arméniens ».

Cette résolution est d’importance car dénuée d’ambiguïté. Elle est constitutive d’une véritable reconnaissance du génocide des Arméniens. Le Parlement a voulu proclamer de manière claire et explicite que l’extermination des Arméniens devait être qualifiée de génocide au sens de la Convention de 1948. L’existence juridique du génocide devrait entraîner des conséquences politiques portant sur l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne ce que mentionne le point 4 de la résolution de 1987.

La résolution du 18 juin 1987 a été réitérée à plusieurs reprises depuis lors. Une résolution du 12 novembre 2000 sur « Les progrès réalisés par la Turquie sur la voie de l’adhésion » a rappelé, à son point 10, que cet État était invité à reconnaître publiquement le génocide que les Arméniens avaient subi avant l’établissement d’un État moderne en Turquie. La résolution du 28 février 2002 sur « Les relations de l’Union européenne avec le Sud du Caucase » a reproduit formellement, à son point 19, la position prise le 18 juin 1987 par le Parlement européen et a invité la Turquie à créer les conditions de la réconciliation. Le Parlement a adopté le 26 février 2004 une recommandation à l’intention du Conseil sur « la politique de l’Union européenne à l’égard du Caucase du Sud » au terme de laquelle il a réitéré sa position telle qu’énoncée dans sa résolution du 18 juin 1987 sur une solution politique de la question arménienne et a demandé « à la Turquie et à l’Arménie de promouvoir de bonnes relations de voisinage afin de désamorcer les tensions et {a demandé} aux universitaires, aux ONG et aux organismes sociaux Turcs et Arméniens d’entamer un dialogue afin de dépasser les tragiques expériences du passé ». Enfin, par deux nouvelles résolutions datant du 15 décembre 2004 et du 28 septembre 2005, le Parlement a réaffirmé l’existence du génocide des Arméniens.

Rodney Dakessian

Beyrouth le 2-Novembre-2014

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